La fonction
du Traître dans une organisation totalitaire
Dans une
organisation démocratique, c’est-à-dire ouverte et tolérante, dans laquelle la
direction peut être contestée et les grandes orientations discutées, il y a
rarement des Traîtres, mais plutôt des dissidents ou des contestataires qui
peuvent s’exprimer à l’intérieur ou partir sans provoquer un drame.
Une organisation totalitaire se
caractérise tout d’abord par l’existence d’un chef, incontestable, infaillible,
respecté, adulé, autoritaire, inamovible, qui en vient à se confondre avec l’organisation
elle-même. Sans lui, l’organisation ne serait rien ou presque. C’est un leader
et un patron qui ne peut souffrir l’ombre d’une opposition, voire même l’apparition
d’une personnalité d’envergure.
Une organisation totalitaire a
quelques dogmes, 3 ou 4 pas plus, qui constituent le fondement de son action et
la bible de ses militants.
Autour du chef, quelques théoriciens
chargés de propager la bonne parole et quelques chiens de garde pour la
discipline. Tous évidemment vouent au chef une fidélité à toute épreuve.
Parfois le bel ordonnancement coince
pour diverses raisons. Occupons-nous ici de l’apparition du Traître et de sa fonction.
Le Traître remet en cause, d’une
façon ou d’une autre, l’autorité suprême du chef ou l’un des dogmes
fondamentaux. Son élimination, si elle devient nécessaire, doit aussi remplir
des fonctions essentielles à la survie et à la cohésion de l’ensemble.
La mise à l’index du Traître obéit à
une mise en scène.
Dans une organisation totalitaire (étatique)
qui dispose de la violence légitime, le Traître est amené à reconnaître publiquement
ses torts et à accepter la sanction ultime (la mort) dans l’intérêt supérieur
de l’organisation. C’est le summum de la manipulation. Voir « Le zéro et l’infini »
d’Arthur Koestler.
Mais une organisation totalitaire qui
n’a pas de pouvoir étatique se contentera chasser le Traître avec une campagne
d’insultes, de chantages, de dénigrements, d’insinuations, de mépris, de
violences, pour extirper le serpent venimeux accueilli naïvement en son sein
(le parti communiste français avec Sartre ou Roger Garaudy par exemple).
Le Traître a donc cette fonction de
purger l’organisation de cette tumeur, de la libérer de ce corps étranger et
malicieux qui s’est infiltré insidieusement et qui a été heureusement démasqué,
pour lui redonner sa pureté d’origine. Débarrassée de cette tumeur, l’organisation
peut se lancer de nouveau dans le combat avec un horizon éclairci. En attendant
le prochain Traître.
Par ailleurs, la chasse au Traître
permet aux militants de se défouler et d’espérer. Quoi de plus gratifiant que
de déverser un tombereau d’insultes sur celui qui est offert à la vindicte, et
dans une saine émulation dans les propos les plus bas, les plus vulgaires, les
plus mensongers. Cette campagne de défoulement sera d’autant plus violente que
le Traître aura été adulé quelques semaines auparavant. Que d’épisodes vont-ils
se raconter sur les manœuvres dont ils ont été les victimes ! Et comment
leur bonne foi aura-t-elle été trahie avec autant d’impudence !
La chasse au Traître va permettre aux
militants de comprendre et d’accepter pourquoi
l’organisation n’a pas atteint ses objectifs, en général irréalistes, car il s’agit
ni plus ni moins de renverser le système établi.
Les militants iront de nouveau aux
sacrifices qui leur seront demandés en temps, en argent, en énergie, en
relations, en activités intellectuelles ou récréatives.
Comme dit l’adage, si le Traître n’existait
pas, il faudrait l’inventer.
Jacob Cohen
22 juillet 2018
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