Prologue
« Monsieur le président du CRIF,
membres du gouvernement, représentants élus, dignitaires religieux, Mesdames et
Messieurs, c’est un honneur et un privilège de m’adresser à vous au nom de la
France. À la veille d’une échéance électorale décisive dans notre vie
démocratique, je réalise à quel point ces notions ne recouvrent pas un
formalisme convenu, puisque la volonté du peuple français pourrait m’en priver
dans un an. Et cette perspective, je l’avoue, m’attristerait profondément.
Moins la perte de la fonction suprême dont la durée est limitée par la
constitution que ces opportunités de représenter l’unité du pays, de réaffirmer
les valeurs de la République, et de voir ainsi à l’œuvre comme ce soir la
concrétisation de l’idéal républicain.
« L’Histoire nous réserve souvent bien
des surprises, dont la moindre n’est pas des retournements de situations
sidérants, impossibles même à concevoir. Des retournements qui corrigent les
errements passés et constituent une espèce de rédemption. Qui aurait pu
imaginer, après les soubresauts tragiques étalés sur des siècles en matière de
luttes politiques et religieuses, que la Communauté qui a le plus souffert de
discriminations et d’agressions jusqu’au crime le plus abject de l’Histoire,
que cette Communauté soit non seulement revenue dans le giron de la République,
mais nous offre l’occasion de célébrer ces retrouvailles républicaines ?
« Quelle leçon magistrale pour tous
ceux qui n’ont pas abdiqué et qui croient inlassablement en nos valeurs et se
battent au quotidien pour les faire appliquer encore et toujours !
« Car il est vrai que ces valeurs ne
sont jamais acquises une bonne fois pour toutes, même inscrites dans les textes
les plus sacrés, même gravées dans le marbre des constitutions. Ce combat ne
doit jamais cesser. La réunion de ce soir est comme un miracle qu’il faut
défendre et renouveler, multiplier et diversifier, pour qu’il s’incruste et
fasse partie intégrante, indélébile, inéluctable, indiscutable, pérenne, de
notre patrimoine à tous.
« On entend ici et là des remarques,
dissimulant mal un ressentiment sournois, et non dépourvu d’arrière-pensées
équivoques, sur les attentions excessives dont bénéficierait ladite Communauté.
Des paroles prononcées par les plus hautes autorités de l’État ont pu laisser
l’impression d’une considération particulière réservée à nos concitoyens de
confession juive, et qui aurait porté atteinte au principe d’égalité. Il
convient de rappeler, même si d’un point de vue purement comptable cela n’est
pas erroné, que ces marques appuyées de sympathie et de soutien venaient
généralement après des actions terroristes qui les visaient en tant que
tels ; que notre devoir a été de leur fournir la meilleure protection
possible et les rassurer sur la détermination de la République de les protéger
par tous les moyens.
« Il est vrai, et ceci n’est pas
incompatible avec nos principes fondamentaux, que la République a un devoir
particulier envers ses citoyens juifs. Sans reprendre un historique fastidieux
et peu glorieux des exactions et des humiliations que notre pays leur a fait
subir pendant des siècles, ce qui s’est passé pendant la seconde guerre
mondiale en a constitué le summum, engageant même notre responsabilité morale,
notre dette ne sera jamais entièrement payée.
« Et pourtant, malgré toutes ces
vicissitudes, les juifs n’ont jamais renoncé aux espoirs qu’ils mettaient dans
la France, et à leur foi inébranlable dans son redressement moral. Ils avaient
l’intime conviction que l’espérance et la lumière viendraient toujours à bout
des périodes sombres.
« Dans ce sens, ils nous ont donné et
nous donnent encore des leçons de foi humaniste et patriotique que d’autres
groupes feraient bien de méditer.
« C’est la signification de notre présence
massive à ce dîner annuel. Toutes les instances de la République y sont
représentées et souvent à leur plus haut niveau.
« Il faut que le message passe, et nous
le martèlerons tant qu’il subsistera la moindre trace, la manifestation la plus
anodine, ou ces soi-disant parodies humoristiques, de cette idéologie
pernicieuse qui vise une seule communauté.
« Je le dis sans ambages et de façon
solennelle : La République traquera avec la plus extrême vigilance et
punira avec la plus grande sévérité toute expression antisémite. Beaucoup a été
fait dans ce sens. L’arsenal juridique se renforce. L’Éducation nationale y
veille en formant les jeunes esprits. Les médias contribuent au mieux. La
justice condamne sans désemparer. L’hydre malfaisante semble pourtant renaître
de façon sournoise en se dissimulant derrière des opinions politiques ou en
profitant du cadre libéral et anonyme des réseaux sociaux. Les organisations
juives nous ont fait part de leurs inquiétudes, inquiétudes tout à fait
légitimes, et que nous considérons avec le plus grand sérieux. Des démarches
sont entreprises pour qu’aucune expression à caractère antisémite ne demeure
impunie. La République mettra tout en œuvre pour extirper à jamais ce mal
insidieux qui déshonore notre civilisation. J’en prends ici le ferme
engagement.
« Cela passe également par un travail
constant sur la Préservation de la Mémoire. Tout doit être fait pour qu’on
n’oublie jamais. J’ai d’ailleurs créé un secrétariat d’État à cette fin, et je
suis heureux que son premier titulaire soit une femme d’origine maghrébine.
Quel merveilleux symbole ! Madame Badia El Ghomri, qu’on peut applaudir,
fait un travail remarquable, malgré sa jeunesse et son inexpérience. Je veille
personnellement à ce que tous les dossiers qu’elle traite bénéficient d’une
attention particulière.
« Je passe sur toutes les actions qui
sont entreprises, et elles sont nombreuses, pour évoquer une affaire en cours.
Des personnalités en France et au Maroc ont souhaité sortir de l’oubli les péripéties de l’émigration des juifs
marocains, et en particulier le naufrage d’une embarcation emportant ses
quarante-trois passagers par une nuit de tempête en février 1961.
« Un mémorial sera érigé sur la côte
marocaine d’où partaient clandestinement ces juifs, et un mémorial identique
dans le département du Gard, dans l’enceinte du camp qui leur servait de
transit. J’ai donné mon accord pour inaugurer au moins l’un des deux. J’estime
que tout ce qui peut être fait pour rappeler
les exactions commises contre des juifs relève du Devoir de Mémoire. Même si
les faits incriminés ont eu lieu hors de France, car le Devoir de Mémoire a une
dimension universelle.
« J’irais jusqu’à défendre les
références à l’holocauste, exprimées dans le documentaire qui relate
cette épopée. Ce terme a une connotation spécifique, relative à une période
déterminée, mais on devrait pouvoir aussi l’utiliser pour caractériser
certaines tragédies dont les victimes seraient juives. Et il n’est pas mauvais
de dramatiser à bon escient. Je soutiendrai donc le vocable
« holocauste » partout où il me sera loisible de le faire, notamment
au Maroc qui en est partie prenante.
« Ce ne sont pas là que des engagements
personnels. Sur tout ce qui vient d’être dit, la République s’en trouve engagée
à l’avenir, par la présence des principaux responsables politiques, ceux qui
sont fidèles à nos valeurs, et qui demain pourraient assurer l’alternance.
Quelle que soit l’issue des élections, et mon adversaire est là pour le
confirmer, je le vois sourire mais sa victoire est loin d’être acquise, rien
absolument rien ne sera modifié pour la communauté juive. Nous continuerons à
travailler ensemble, gauche et droite unies, pour lui assurer la sécurité,
l’intégrité et l’épanouissement dans notre pays. La France ne serait pas la
France sans votre présence millénaire. Je vous remercie. »