dimanche 13 décembre 2020

Normalisations israélo-arabes contre l'Iran

 

Les « normalisations » entre le régime sioniste et les monarchies du Golfe sont surtout dirigées contre la République Islamique d’Iran.

 

On voudrait nous faire croire que les « normalisations » des relations entre les monarchies arabes, car il faudrait y inclure le Maroc, avec le régime sioniste, vont ouvrir une période de paix et de prospérité dans la région. Or rien n’est plus faux. Car le cœur du problème, la source de toutes les tensions depuis un siècle, réside dans la création d’un régime fondé sur l’apartheid avec le peuple d’origine, la dépossession de celui-ci de sa terre et son expulsion, la politique expansionniste d’un pays qui n’a jamais tracé  ses frontières, la recherche d’une « pax israelana » fondée sur la supériorité militaire et l’agression permanente.

Or pourquoi tout le monde arabe s’était élevé en 1948 contre l’établissement de ce régime sur la terre de Palestine ? Parce que l’effacement de celle-ci constituait un casus belli qui ne pouvait s’éteindre qu’avec le rétablissement d’un État de Palestine et une solution juste du problème des réfugiés palestiniens chassés par l’ennemi sioniste en 1948.

La Ligue Arabe n’avait jamais dérogé à cette règle, allant jusqu’à exclure l’Egypte en 1979 après la signature d’une paix séparée avec le régime sioniste laissant de côté le problème palestinien.

Les temps ont bien changé. Alors que ce qui reste de la Palestine vit sous une occupation brutale et une expansion constante des colonies sionistes, rendant impossible toute solution juste et durable, 3 pays arabes ont signé un traite de normalisation avec le régime sioniste, en attendant que d’autres suivent, notamment le Maroc et l’Arabie Saoudite, se contentant de quelques paroles creuses en faveur d’une reprise des négociations israélo-palestiniennes.

Des négociations qui n’aboutiront à rien de concret. Le régime sioniste fait trainer ces négociations depuis 1993, depuis la signature des accords d’Oslo, pour étendre sa mainmise sur la Palestine. Rappelons que le nombre des colons sionistes a été multiplié par 450% depuis 1993. Le régime sioniste n’a jamais recherché une paix juste et équilibrée permettant l’existence d’un État palestinien indépendant. Toute « paix » à ses yeux était une affirmation de sa puissance et la conservation des conquêtes militaires faites depuis sa création. Il avait d’ailleurs rejeté avec mépris une proposition de paix totale offerte par la Ligue Arabe en 2002 en échange de l’application des résolutions internationales.

Hormis la Syrie, le Liban avec le Hezbollah, et l’Algérie, les autres États arabes restent dans un attentisme prudent et craintif. Ils voudraient bien sauter le pas de la normalisation qui leur apporterait des bénéfices économiques, mais ils craignent la colère de leurs peuples. C’est le cas par exemple du Maroc qui collabore avec le régime sioniste depuis des décennies mais dans une semi-clandestinité.

Une réaction intéressante et courageuse est venue des Arabes israéliens, qui fréquentent assez les sionistes pour en connaître leurs arrière-pensées. Les 15 députés arabes sur les 120 que compte le parlement sioniste ont été les seuls à s’opposer à ces accords de normalisation. Ils ont déclaré : 

« Bien que soucieux de renforcer nos relations avec les peuples arabes, aussi bien au Machrek que dans le grand Maghreb, nous sommes politiquement opposés à l’accord d’Abraham proposé par le président américain, Donald Trump ». « Cet accord est un projet hostile aux droits du peuple palestinien et à son droit à établir un État indépendant dans les limites des frontières de 1967 avec Jérusalem pour capitale, ainsi qu’au droit au retour des réfugiés, conformément au droit international et aux résolutions de l’ONU, soutenus par l’Organisation de libération de la Palestine qui préconisent le retrait des colons et la fin de l’occupation israélienne ».

Les députés arabes ont confirmé leur soutien « permanent et éternel pour la paix juste qui se traduit par une paix globale basée essentiellement sur la fin de l’occupation israélienne et la fondation d’un Etat palestinien indépendant comme préconisé par l’initiative de paix arabe, qui a appelé auparavant à une normalisation avec tous les pays arabes, en échange du retrait total des territoires occupés depuis 1967.

Et d’ajouter que « Netanyahu s'est vanté ces dernières semaines d'avoir signé des accords de paix et de normalisation avec les pays arabes sans se retirer de la moindre parcelle des territoires palestiniens sous le faux slogan (la paix pour la paix). Netanyahu est à la tête d'un gouvernement désastreux, expansionniste et extrémiste qui intensifie les pratiques abusives de colonisation et d'occupation contre notre peuple palestinien ».

De fait, le régime sioniste a tout obtenu sans faire la moindre concession, soit vers la création d’un État palestinien, soit vers la restitution du Golan syrien conquis en 1967 et juridiquement annexé en 1981, en violation de toutes les lois internationales.

On se rappelle que les monarchies du Golfe avaient justifié les « normalisations » pour éviter l’annexion par le régime sioniste des colonies juives de la Cisjordanie occupée. Or ces monarchies viennent d’annoncer qu’elles ne feraient pas la différence entre les produits venant d’ « Israël » et ceux venant des colonies. C’est une reconnaissance de fait de leur rattachement à un même et unique État.

Pour les Palestiniens de Ramallah, qui continuent de croire à une solution négociée basée sur le droit international, le coup est rude. « C’est une trahison et un coup de poignard dans le dos du peuple palestinien ». Mais enfin, cela fait presque 30 ans qu’ils se font manipuler par l’occupant sioniste. Rappelons que depuis les accords d’Oslo, le nombre des colons sionistes en Cisjordanie occupée est passé de 150 000 à près de 800 000. L’Autorité palestinienne y a sa part de responsabilité, très grande même. En acceptant de collaborer avec l’occupant, militairement, économiquement, politiquement, elle lui a offert une légitimité internationale sans obtenir en retour que des concessions symboliques. Elle était devenue une énorme machine bureaucratique vivant grassement des aides européennes sur le dos de son propre peuple qui souffre au quotidien de l’occupation sioniste. N’oublions pas que cette « Autorité » avait refusé en 2006 la sanction des élections libres et démocratiques qui avaient accordé la majorité au Hamas. Ses forces de « sécurité » s’acharnent à pourchasser, avec l’aide des services secrets sionistes, tous les vrais résistants à l’occupant : les militants du Hamas, du Jihad islamique et du FPLP. Sa légitimité auprès du peuple est très très faible. Et en restant ancrée sur des positions, juridiquement justifiées mais politiquement irréalistes, ignorant que les monarchies du Golfe tissaient déjà des liens plus ou moins secrets avec l’entité sioniste, l’Autorité de Ramallah s’est retrouvée totalement démunie, sans appuis autres que les encouragements diplomatiques de quelques chancelleries européennes.

L’issue ultime et prévisible de cette évolution sera la mise en œuvre, à plus ou moins brève échéance et en y mettant les formes, du plan Trump pour résoudre le conflit israélo-palestinien. Ou ce qu’on a appelé le « deal du siècle ». En clair, reconnaître définitivement le rattachement des colonies juives à la patrie sioniste. L’attribution de la Vallée du Jourdain à la puissance sioniste pour assurer la sécurité de cette dernière, ainsi que le contrôle de l’espace aérien et des ressources hydrauliques palestiniens. En somme, l’État dont rêvaient les Palestiniens de Ramallah se réduirait à une espèce de « Bantoustan », tel que le régime sud-africain de l’apartheid voulait accorder aux Noirs pour s’en débarrasser.

Est-ce que l’Autorité palestinienne a les moyens politiques, économiques et militaires pour s’y opposer ? Nous pouvons en douter. Parce que le plan Trump avait prévu de couper les aides et les soutiens arabes dont bénéficiait de manière quasi automatique l’Autorité. Cette manne financière était un acquis qui semblait gravé dans le marbre. La défense de la cause palestinienne demeurait un tabou, en particulier le fait de signer une paix séparée avec l’ennemi sioniste. Et pourtant, cela s’est fait presque sans remous, pour le moment en tout cas.

Qu’est-ce qui a pu pousser les monarchies du Golfe dans cette voie ? Elles dépendent tellement de l’Amérique pour leur « sécurité » qu’elles ne pouvaient résister à une forte pression. D’autant qu’elles avaient vu les exemples des États arabes qui avaient tenté de sauvegarder leur indépendance et qui avaient fini comme on sait : l’Irak, la Libye, la Syrie. Et même leurs fortunes amassées depuis des décennies étaient à la merci d’une confiscation à l’américaine. Et enfin il y avait l’argument massue qui avait fait trembler ces monarchies sans légitimité nationale et incapables de se défendre. La « menace » que l’axe américano-sioniste n’avait cessé d’agiter et qui viendrait d’un Iran hégémonique. Si ces monarchies n’obéissaient pas, on les laisserait toutes seules face à un ennemi redoutable qui n’en ferait qu’une bouchée.

Rappelons tout de même que la République islamique d’Iran n’avait jamais depuis sa création initié un conflit dans la région, ni proclamé des revendications territoriales au détriment des pays voisins. L’ambassadeur de Russie en Israël, Anatoli Viktorov, a déclaré cette semaine : « Le plus grand problème au Moyen-Orient n’est pas l’Iran mais Israël. Le vrai problème réside dans le non-respect par Israël des résolutions de l’ONU sur le conflit israélo-palestinien et le conflit israélo-arabe. C’est Israël qui attaque le Hezbollah et non l’inverse. »

Par contre, le pays avec lequel ces monarchies viennent de signer des traités de « paix » ne vit que par la guerre, la domination, la conquête. Al-Quds, le Golan syrien et d’autres territoires palestiniens vivent sous la botte de l’occupant sioniste depuis des décennies. Ce régime viole allègrement le droit international et ne connaît que la loi du plus fort. Il va transformer ces monarchies en protectorats, en États obligés de se soumettre sous peine d’être balayés. Elles ont introduit le loup sioniste dans leur bergerie et le paieront très cher.

Mais au-delà des clichés sur les échanges économiques ou touristiques, ce qui se profile c’est une coopération militaire entre les monarchies du Golfe et leur nouveau protecteur sioniste. Elles ont déjà exprimé leur volonté d’acquérir la haute technologie militaire israélienne, notamment le système de défense antimissile Dôme de Fer.

Ce rapprochement militaire leur ouvre enfin la possibilité d’acquérir les fameux avions américains, les F-35. On parle déjà d’une cinquantaine de ces avions pour des milliards de dollars. Ces avions n’auraient jamais pu être achetés par un État arabe sans l’aval du régime sioniste. Il était toujours entendu que l’Amérique, au niveau des armements sophistiqués, devait maintenir un niveau de supériorité significatif au profit de l’armée sioniste.

Or le régime sioniste n’a fait aucune difficulté pour avaliser la vente des F-35 aux monarchies du Golfe, procédure qu’il aurait pu bloquer lorsqu’on connaît la puissance de l’AIPAC, le tout-puissant lobby sioniste, auprès du Congrès américain. On peut aussi se demander contre quel ennemi ces deux petites monarchies vont utiliser cet arsenal aérien digne d’une grande puissance. Il devient évident que cette armada sera orientée principalement contre la République Islamique d’Iran, érigée en ennemi commun du régime sioniste et des monarchies du Golfe.

L’ambassadeur sioniste à Washington a confirmé cette vision le 8 décembre : « Israël est très à l’aise avec la proposition de Washington de conclure un accord d’armement de 23 milliards de dollars avec les Émirats Arabes Unis. Cet accord ne violera pas l’engagement américain visant à maintenir l’avantage militaire qualitatif d’Israël. Les EAU sont un allié pour affronter l’Iran. Je suis plus préoccupé par le projet du président désigné Joe Biden de réintégrer l’accord nucléaire iranien. »

Un renversement stratégique, inimaginable encore il y a un an ou deux, est en train de prendre forme. Certes, des théoriciens avaient conjecturé cette nouvelle donne, mais de là à la voir se réaliser concrètement, allant même jusqu’à une alliance militaire et stratégique, et pourquoi pas une agression prochaine tripartite : américano-arabo-sioniste, contre le nouvel ennemi commun iranien, cela relevait de l’inconcevable. Non seulement les monarchies du Golfe ont fait sauter les tabous historiques, mais elles semblent vouloir rattraper le temps perdu. Elles foncent vers la collaboration dans tous les domaines, culturel, touristique, commercial. Rien ne les arrête. Chaque jour on découvre de nouveaux champs de collaboration avec le régime sioniste.

Cette nouvelle alliance, inédite et artificielle, entre un régime juif messianique conquérant et dominateur et des régimes monarchiques archaïques musulmans à la recherche d’une stabilité factice au prix de reniements historiques, a-t-elle des chances de durer ? Résistera-t-elle à une aventure militaire dans laquelle les monarchies seront fatalement entrainées ? Comment réagiront les peuples arabes, obligés aujourd’hui de ravaler leurs frustrations, lorsqu’ils verront à l’œuvre l’impérialisme sioniste, arrogant et conquérant ? Accepteront-ils de voir l’étranglement du peuple palestinien ? Ne rêveront-ils pas d’un sursaut nationaliste, à l’image de la République Islamique d’Iran, qui a choisi librement sa voie dans l’indépendance et la dignité ?

L’Histoire est pleine de rebondissements. Elle ne s’arrête pas dans un « happy end » comme dans les films hollywoodiens, et comme la rêverait le régime sioniste dans une domination perpétuelle et sans heurts. Les peuples opprimés se réveilleront un jour ou l’autre, et gare à leurs oppresseurs nationaux et à leurs alliés étrangers.

Jacob Cohen

Éuteur franco-marocain

12 décembre 2020

 

 

1 commentaire:

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