BACHAR AL-ASSAD aurait pu devenir le SALAHEDDINE de notre
ère
Le président syrien avait une opportunité historique de
s’élever au-dessus de sa condition et de rendre à la Nation arabe sa fierté, sa
dignité et son indépendance. En lançant ses forces contre l’ennemi sioniste que
l’Empire avait installé là pour semer la zizanie entre les Arabes, les affaiblir,
les endormir, et pour finir les soumettre.
Mais pour ce faire, il eût fallu avoir l’étoffe d’un héros,
c’est-à-dire être habité par un idéal, donner tout pour le réaliser, et ne
s’embarrasser d’aucune contingence d’ordre matériel ou moral.
Ce court portrait ne correspond malheureusement pas à Bachar
Al-Assad ni à aucun dirigeant arabe actuel. Les rares qui ont tenté de s’y
identifier dans les années 50 et 60 ont été balayés sans ménagement.
À quoi ressemble aujourd’hui une direction arabe ? Cette
définition vaut pour tous les États arabes quel que soit leur régime politique.
C’est une caste de plusieurs milliers de personnes – j’aurais préféré le terme
de « nomenklatura » par lequel on désignait ce groupe de responsables
dans les anciens pays communistes – incluant le personnel politique, les haut
gradés militaires et sécuritaires, les hommes d’affaires, la hiérarchie
judiciaire, l’élite intellectuelle et médiatique, les dignitaires religieux,
les hauts fonctionnaires, les responsables universitaires, et les parasites qui
gravitent autour.
Fatalement, l’Autorité palestinienne s’est aussi développée
sur ce schéma. Sa caste vit bien et dispose de permis spéciaux pour voyager et
contourner les check-points. En contrepartie elle « négocie » en se
faisant plumer. Et ses forces de sécurité, formés par la CIA, protègent les
colonies et arrêtent les résistants à l’occupation.
Toutes ces nomenklaturas se savent illégitimes. Aucune
direction arabe n’a reçu l’onction démocratique. Elles n’ont que mépris pour
leur peuple. Leur raison d’être se ramène finalement à profiter au maximum des
privilèges de leur condition et à perpétuer cet état de fait. Leurs discours
ont depuis longtemps perdu toute crédibilité, toute adéquation avec le réel.
Mais qu’importe ? En uniforme militaire ou en costume cravate, en djellaba
royale ou en tenue folklorique, les dirigeants arabes ont mis leur survie
au-dessus de tout. Quitte à accepter le rapport de force imposé par l’Empire et
ses prolongements humiliants.
Pourquoi 22 pays arabes ont accepté de renoncer à la
maîtrise de la filière nucléaire après la destruction de la centrale irakienne
– totalement pacifique – par l’aviation sioniste ? Pourquoi aucun pays
arabe n’a ouvert une ambassade à Ramallah alors qu’il en a le privilège et
forçant l’occupant à moins violer la Convention de Genève ? Pourquoi les
fonds arabes ne se déversent pas sur Al-Qods pour empêcher sa
judaïsation ? Pourquoi ne pas constituer une flotte arabe pour forcer le
blocus de Gaza alors que la Turquie l’a tenté ?
Parce que l’Empire a tracé des lignes rouges à ne pas
franchir. « Vous pouvez gueuler, c’est autorisé, mais pas d’actions
concrètes ! » leur disent Obama et Netanyahou. Et les nomenklaturas
obéissent. Tout simplement parce qu’elles craignent pour leurs privilèges. Les
fonds qu’elles ont détournés et les biens immobiliers qu’elles ont acquis, se
trouvent en Occident. Elles pourraient en être dépossédées en un tournemain,
pour « biens mal acquis ». Leurs dirigeants pourraient être interdits
de voyages et même être traduits devant la CPI (un organe aux mains de
l’Amérique) pour quelque crime réel ou imaginaire.
Ce n’est pas un hasard si les 2 seuls pays qui ont osé braver
ces interdits en annonçant un changement de politique à l’égard d’Israël
étaient l’Egypte et la Tunisie, dont les gouvernements démocratiquement élus pouvaient
s’appuyer sur le consensus et les aspirations de leurs peuples. On sait ce
qu’il en est advenu de la 1ère. Quant à la seconde, elle ne perd
rien pour attendre.
Et la Syrie n’a pas fonctionné différemment, malgré son
positionnement politique particulier. Seule la laisse qui la tient est un peu
plus longue que celle qui tient les autres pays arabes. 1ère
illustration : Israël voulait une tranquillité absolue sur le Golan syrien
conquis et annexé en 1967. Aucun coup de feu n’a été tiré en 46 ans
d’occupation. 2ème illustration : Israël se réserve le droit de
bombarder toute installation qui lui semblerait attentatoire à sa domination.
Ainsi en 2007, l’aviation sioniste a détruit ce qui pouvait ressembler à une
centrale nucléaire en construction, un centre de recherche ou une base de
missiles en territoire syrien. Inutile de préciser que le régime de Damas n’a
pas bronché.
Cette soumission quasi naturelle – l’habitude est une
seconde nature – explique certainement l’attitude actuelle du président Assad.
Celui-ci avait une carte historique à jouer.
Assad a dû comprendre très vite qu’il avait affaire à des
menées subversives menées par ses ennemis – l’Empire et ses larbins arabes –
pour le dégommer. Ils ne le lâcheront pas. Des milliers de mercenaires avec des
moyens considérables sont mobilisés. Les médias ont pris fait et cause pour
eux. La stratégie de l’Empire était évidente : faire durer la guerre le
plus longtemps possible, déjà 30 mois. Car si on avait voulu se débarrasser de
lui au début, on aurait trouvé un prétexte pour l’assassiner dans l’un de ses
palais.
Quelle alternative lui restait-t-il ? Soit sombrer sous
les bombes de ses ennemis, soit sortir « victorieux » et régner sur
un pays divisé, morcelé, dévasté, ruiné.
Alors que s’il avait pensé en « héros arabe », il
aurait lancé, dès le début, des dizaines de milliers de missiles sur Tel Aviv,
rien que sur Tel Aviv. Endommageant sérieusement le centre économique et
militaire d’Israël. Et lançant ses centaines de milliers de combattants vers le
Golan et le lac de Tibériade. Bien sûr, le réponse du régime sioniste serait
foudroyante. Mais ! Avantage immédiat : les « rebelles » auraient
retourné leurs armes contre l’ennemi commun et tous les pays arabes se seraient
mis de son côté. Les destructions infligées par les sionistes ne seraient pas
pires que celles d’aujourd’hui. Et une ivresse de résistance aurait réveillé le
monde arabe.
Mais Bachar Al-Assad a été formaté pour penser en termes de chef
de clan. Et même s’il avait rêvé d’agir en Salaheddine – qui sait ? – sa
propre nomenklatura l’en aurait empêché.
Ainsi la Nation arabe va poursuivre son destin historique
actuel, entre dictature de castes, soumission à l’Empire et développement contrôlé
par ses maîtres extérieurs.
Jacob Cohen
30 août 2013