L’Hubris sioniste.
Définition : Chez les Grecs anciens, tout ce qui, dans la conduite de l'homme, est considéré par les dieux comme démesure, orgueil, et devant appeler leur vengeance Celui qui ne respecte pas la limite fixée par cet ordre premier commet un acte d’Hubris, de démesure. Ce crime est puni par le châtiment de Némésis, divin et irrévocable puisqu’il entraîne l’anéantissement pur et simple de l’individu.
On est tenté de faire un parallèle avec l’évolution du sionisme. Non que cette idéologie soit la première depuis les Grecs anciens à se lancer dans une aventure de cet ordre. On peut évoquer la fin des empires, y compris coloniaux, qui n’avaient pas su adapter leurs ambitions aux réalités nouvelles. Imaginons ce que seraient devenus l’empire japonais s’il n’avait pas attaqué l’Amérique et le Reich hitlérien sans l’invasion de l’URSS.
Le sionisme à ses débuts, je parle de ceux qui sont venus de l’empire russe pour le mettre en pratique, cherchait désespérément une terre pour se réaliser. L’Ouganda et le Birobidjan auraient été un pis-aller. Comme on dit familièrement en sport, les premiers responsables auraient signé les yeux fermés pour le plan de partage onusien de 1947.
Mais la concrétisation de leur projet n’allait pas les amener à baisser les bras. Bien au contraire. Les décennies de luttes dont des actions terroristes spectaculaires contre les Anglais, et l’environnement arabe hostile, les pousseront à toutes les aventures militaires, dont la série de représailles dévastatrices contre les Palestiniens et l’agression tripartite contre l’Egypte en 1956.
La guerre de 1967 va marquer un tournant dans leur perception. Guerre minutieusement préparée et victoire éclatante, que la propagande avait rendue légitime car empêchant un « nouvel holocauste ».
Que faire de cette victoire ? Ben Gourion, qui n’étant plus au pouvoir avait certainement une vision plus politique et historique, avait suggéré d’échanger tous les territoires conquis sauf les lieux saints juifs de Jérusalem contre une paix véritable. Ce qui aurait pu se faire avec les garanties de la communauté internationale. Et le rêve sioniste originel se serait réalisé.
Mais c’était sans compter avec l’ivresse de la victoire. Israël avait multiplié par 5 ou 6 sa superficie. Le monde arabe était sonné. L’Occident était sous le charme. Les Israéliens pavoisaient, se croyaient désormais invincibles. Leurs généraux étaient devenus des demi-dieux. On ne cessait pas de fêter les glorieux soldats. De nouvelles pages musicales et littéraires ancraient dans l’inconscient collectif les prises de Jérusalem, du Golan, du Sinaï, de Charm El Cheikh, des villes bibliques de Cisjordanie.
Comment renoncer à tout cela ? Et surtout, pour signer une paix avec qui ? On s’engage dans une vraie paix – « la paix des braves » comme s’était illusionné bien naïvement Yasser Arafat en 1993 – avec un adversaire que l’on respecte, avec lequel on pense entrer dans une collaboration positive, et en qui on a une certaine dose de confiance.
Mais les Arabes ! Je suis toujours surpris par la méconnaissance de certaines élites arabes sur les sentiments que leur portent les sionistes. Le mépris serait un mot très faible. Je vous invite à retrouver les déclarations du Rav Ovadia Yossef, la plus haute autorité spirituelle du monde séfarade en Israël. On connaît les discriminations qu’avaient subies les juifs venant des pays arabes. On les traitait d’ « arabes », la plus grand insulte dans la bouche d’un sioniste historique.
Certes, les sionistes sont prêts à signer la paix avec les Arabes, mais une paix qui ne leur demanderait aucune concession, aucune reconnaissance des droits légitimes du peuple palestinien, aucune réserve sur les territoires conquis en 1967. Une paix de vainqueur qui impose ses conditions. Une « pax israelana » comme elle s’est réalisée récemment. Une paix qui n’entraîne pas la fixation du régime sioniste dans des frontières rigides et définitives, laissant ouvertes des possibilités d’extension.
Ces paix séparées ne feront que les renforcer dans leur intransigeance, et dans leur conviction, bien ancrée dans l’écrasante majorité des Israéliens juifs, que « décidément les Arabes ne comprennent que le langage de la force ».
Ainsi l’Hubris sioniste s’entretient et se renforce de cette dynamique, renvoyant toute solution politique juste et raisonnable aux calendes. Ils attendent la reddition, en particulier celle des Palestiniens qui devront se contenter d’un bantoustan sous contrôle israélien.
Israël se sent invincible, au sommet de sa puissance. Il contrôle quasiment l’Amérique, l’Europe ose à peine broncher, l’Inde la Chine et la Russie le traitent avec respect. Ses services secrets font trembler le monde, même leurs alliés. Le Mossad a probablement participé à l’assassinat de Kennedy pour lui faire payer son opposition à l’armement nucléaire israélien, comme il a tiré les ficelles des « attentats » du 11 septembre. L’affaire Epstein à elle seule lui permet de contrôler et de faire chanter toutes sortes de personnalités grâce à des milliers de vidéos compromettantes.
Cependant, contrairement à la plupart des régimes qui se sont laissé emporter sans réserve par leur ivresse dominatrice, le régime sioniste a conservé, de sa grande époque socialiste et libérale, une liberté étonnante d’analyse et de contestation. Citons pour mémoire le documentaire avec six anciens patrons des services secrets affirmant que la poursuite de l’occupation et de la colonisation signeront la fin du projet sioniste. Ou le numéro 2 de Tsahal Yair Golan déclarant que l’atmosphère du pays, avec les ratonnades en Cisjordanie et surtout après l’adoption de la loi sur la nation du peuple juif qui légalise certaines formes de racisme, lui rappelait le début de l’Allemagne des années 30.
Mais rien n’y fait. On ne veut pas entendre ces Cassandre. Le pays fonce comme un train fou vers son destin d’empire régional indestructible, gangrené de plus en plus par un messianisme mystique qui rêve de reconstruire le troisième Temple sur les « ruines » de la Mosquée Al-Aqsa. La tendance fondamentale de la société le mène inexorablement vers cette issue, quand bien même il ferait mine de résister.
Un fait récent illustre ce délire de puissance et
d’invulnérabilité. Israël a décidé de faire vacciner sa population, au-delà de
16 ans jusqu’à présent, même les femmes enceintes, avec les vaccins à ARN, dont
on sait peu de choses et qui commencent à produire des effets négatifs à
travers le monde. Mais rien ne les arrêtera, malgré l’étendue de nouvelles
contaminations, de variants étrangers et locaux et de décès en surnombre. C’est
comme un défi que le régime sioniste lance à la face du monde. La justice immanente viendrait-elle par ce biais inattendu?
L’homme n’apprend rien de l’Histoire. On finira avec cette
illustration qui nous vient des Romains.
À Rome, la cérémonie du triomphe des généraux victorieux obéit à des règles censées prévenir les accès d’Hubris et éviter tout débordement d’ego. Ainsi, dans son char, le général défile accompagné d’un esclave qui se tient derrière lui. Ce dernier lui murmure à intervalles réguliers la célèbre phrase : « Memento mori » (« Rappelle-toi que tu es mortel »). Un procédé pour s’assurer que l’esprit de l’homme ne s’enflamme pas. Car l’Hubris est un feu qui consume l’âme avec des désirs de grandeur et de richesses.
Jacob Cohen
25 janvier 2021